Témoignages EPISODE 4 Qu’est-ce qui caractérise la « nouvelle élite » des femmes à impact

Isabelle Grosmaitre

Isabelle Grosmaitre

Elite, ce n’est pas un vocabulaire que j’utilise. Donc je suis allée chercher dans le dictionnaire. C’est « un groupe minoritaire de personnes ayant dans une société une place éminente due à certaines qualités valorisées socialement ». 

Qu’est-ce que cela veut dire pour moi en tant que femme animée par le sujet de l’impact ? Qui aujourd’hui a besoin pour le monde d’être valorisé, chouchouté socialement ? 

Je pense immédiatement à ces nouveaux leaders qui veulent vraiment changer le monde, ceux dont je parle régulièrement et avec qui je travaille au quotidien. Ces leaders éclairés, qui étaient autrefois isolés, sont devenus un mouvement. Ces leaders ont conscience des enjeux de la société, qu’ils soient environnementaux, sociétaux, etc., de la nécessité de faire de notre économie une économie plus juste pour les gens et pour la planète. Ces leaders éclairés agissent pour de vrai, font bouger les lignes et c’est eux que je considère comme l’élite.

 

Pour moi, il y a trois notions liées à l’impact. La première, c’est le fait de contribuer à un monde meilleur. La deuxième chose, c’est la capacité à faire bouger les lignes dans l’action. Le bla-bla, c’est fini. En tout cas, ce n’est pas comme cela que je vois les femmes à impact ou les gens à impact. C’est la capacité à entreprendre. La troisième chose, c’est qu’ensemble on va beaucoup plus loin. Sur ce sujet de l’impact, personne ne peut agir seul, que ce soit des individus ou des entreprises. Donc, c’est notre capacité à fédérer, à rassembler les gens, les organisations pour aller beaucoup plus loin ensemble.

Dans l’impact il y a une question de mouvement. Si on regarde les grands défis de la société, on peut prendre super peur. Et lorsque je vois notamment la nouvelle génération, quand je vois les entrepreneurs, quand je vois que les leaders qui ont conscience et qui ont envie d’avancer (ils sont de plus en plus nombreux), je me dis qu’il y a un espoir extraordinaire. Je crois aussi que le temps est à l’action, et qu’à la fois, des tas de leaders, soit des hommes et des femmes, peu importe leurs pays, peu importe leur éducation, nous démontrent que c’est possible. En fait, j’ai tellement envie que l’élite demain, ou l’éclairage, ou le chouchoutage soit sur ces leaders qui montrent que c’est possible, parce qu’effectivement cela donne beaucoup d’espoir et d’enthousiasme pour la suite. 

Face aux défis qui sont tellement immenses, si les entreprises ne shiftent pas leurs façons d’opérer, on n’y arrivera pas. C’est vraiment l’entreprise comme levier du progrès. Après, sur le comment, je ne crois pas à une stratégie qui ne soit pas incarnée. Elle est avant tout basée sur des convictions, sur un leader, homme ou femme qui va porter, sur des gens qui vont chacun, à leur niveau, sur leur périmètre, sur les scoops, lui donner vie. C’est cela qui fait la puissance des organisations, ce sont des gens derrière. 

J’ai beaucoup travaillé avec Bill Gates.  Ce que j’aime, c’est qu’il est pionnier. C’est quelqu’un qui va investir pour le monde, pour changer les règles du jeu d’un secteur. Il n’y a aucune solution qui existait à grandes échelles pour les populations défavorisées sur la nutrition, des produits alimentaires accessibles et bons pour les gens. En fait, il dé-risque indirectement les propositions parce que cela coûte très cher d’investir, de faire bouger les lignes d’un secteur. C’est très difficile pour une entreprise. Il permet cela pour après. Une fois que le modèle est craqué, on peut faire beaucoup.

Je suis allée à la rencontre de 36 leaders à travers le monde que je considère avec mes lunettes, comme « éclairés ». Je leur ai posé des questions sans préparation, sans enregistrement, les yeux dans les yeux, pour essayer de comprendre l’individu derrière, et comprendre pourquoi ce décalage dans le monde actuel. Il y a plein d’obstacles que l’on connaît, les mécanismes financiers, la gouvernance, … Mais quelque chose qui m’a vraiment marqué, c’est l’étincelle que ces dirigeants, que je considère tous en avance de phase. C’est leur courage. Le courage, c’est la fermeté de cœur qui nous permet de prendre des décisions et des choix dans les situations difficiles. Ce n’est pas quand tout va bien, c’est quand c’est difficile. Il y a plein de formes de courage. Il y a le courage de l’ambition, le courage de l’action, le courage du renoncement. C’est vraiment quelque chose qui nécessite d’être célébré, parce que c’est très puissant.

J’ai à la fois une vision très négative et positive, tout dépend de la temporalité dans laquelle on se trouve. L’élite d’hier et celle qui existe encore un peu aujourd’hui, j’en ai une image assez négative, je pense à Happy Few, à privilèges, à l’entre- soi aussi. Alors que l’élite de demain, peut-être féminine aussi, je la caractérise par sa vision et son action, une vision au service de bien plus grand que soi-même et une capacité à incarner ce qui est proposé. Une vision très optimiste et positive. Une capacité d’innover, de bousculer les codes, de prendre le risque de dire ce que personne n’a envie d’entendre et d’aller jusqu’à l’action. Et je pense aussi à communauté, un groupe ouvert, contrairement à ce que l’on a pu connaître jusqu’à présent. 

Il y a beaucoup d’espoir, je trouve derrière la notion d’impact. C’est aussi ce qui semble peut-être impossible aujourd’hui et qui mérite que l’on y croie. On trouve de l’optimisme dans la notion d’impact. 

En ce qui concerne l’impact, l’entreprise doit suivre, parce qu’il y a des réglementations. Les disruptions font beaucoup bouger des lignes et font changer le système dans le bon sens, la plupart du temps. Finalement, très souvent les entreprises ont de l’impact parce qu’elles ont plus vraiment le choix que d’en avoir. Je prends l’exemple de la société Patagonia où le fondateur décide de tout redonner, de léguer son empire pour la lutte contre le changement climatique. Ce sont des gens qui ont un impact extraordinaire. Quand on voit la façon dont beaucoup de leaders aujourd’hui ont de l’impact, c’est qu’ils ont eu un projet de transformation de la société, une vision et qu’ils se sont donnés les moyens de faire bouger le système.

Céline Cussac

Céline Cussac

Je trouve qu’il y a plein de manières pour faire bouger les lignes et cela peut être de toutes petites actions. Je me suis demandée comment j’avais fait bouger les lignes, en 20 ans de salariat. J’ai pensé au management et au management de la frugalité, c’est-à-dire apprendre à mes équipes à faire avec rien, parce que parfois, cela a beaucoup d’importance. Les plus grandes innovations, je les ai faites avec rien. Notamment pendant le confinement, où j’ai fait un podcast d’entreprise de la salle de bain de mes enfants, … donc c’est quand même assez fou. Cela est un vrai apprentissage et cela bouscule énormément les lignes. Et plus récemment dans mon rôle de fondatrice, c’est de faire rentrer le rêve, le sensible dans l’entreprise, de réinventer aussi la place de la relation humaine dans l’entreprise. Donc nous avons plein de manières à notre disposition.

Luisa Munaretto

Luisa Munaretto

Le mot élite peut avoir une connotation un peu négative, par rapport au passé. Mais si on la considère comme un souci d’excellence, je pense qu’on a plusieurs élites dans différents domaines. Élite, cela veut dire des personnes qui font bouger les choses, qui sont engagées, qui sont concrètes, qui sont consistantes. Vous trouvez des élites dans le social, dans l’impact, dans le luxe, dans la finance. C’est dans ce sens-là que s’impose l’entre- soi. Souvent les élites dans les différents segments ne se côtoient pas, en fait. Après c’est culturel. Je porte toujours un regard international. Je suis franco-italienne, l’Italie où la notion d’élite est très forte, malgré que ce soit un pays très engagé pour créer un grand dialogue. Aujourd’hui dans un monde qui protège sa propre économie et en même temps dans lequel on est tous connectés, le regard que l’on porte sur différentes choses n’est pas le même et cela nous donne des ouvertures. 

Je rajouterai cette analyse qui est de dire quels sont les impacts d’une décision que l’on prend aujourd’hui. Cela veut dire quels sont les impacts sociaux, environnementaux, les relations que l’on aura dans deux, trois ou quatre ans par rapport à cette décision structurante d’aujourd’hui. Pour moi l’impact c’est de dire « si je prends cette décision, si je développe cette affaire, quel est l’impact que je veux voir demain ».

Je pense que c’est fondamental d’avoir des rôles modèles féminins, même pour les hommes, dans l’évolution du talent féminin. Il faut montrer un exemple, que c’est possible et que l’on n’a pas de limites quand on a envie d’être quelqu’un et de réussir. Il n’y aura jamais assez de rôles modèles féminins.

Je trouve que les femmes entre elles sont souvent dans l’auto sabotage. Il n’y a pas assez de coopération. La coopération entre femmes et le niveau de confiance qu’une femme fait à une autre femme dans un poste de pouvoir, de décision stratégique, aujourd’hui, n’est pas à un bon niveau. C’est ce que je remarque dans mon industrie.

Derrière la notion d’élite, il y a cet aspect un peu technocratique et un peu détaché du terrain, de la réalité et de ce que chacun et chacune peut vivre. Et du coup, il y a un aspect reproduction sociale qui existe. On dit souvent que lorsque l’on vient d’un milieu favorisé, on a beaucoup plus de chance d’atteindre le sommet de la pyramide. Moi, je pense qu’aujourd’hui, la vision de l’élite doit beaucoup plus être déterminée par la capacité à faire bouger des lignes dans l’action et dans le concret. On voit des gens qui émergent, qui ont pas du tout les mêmes chances que plein d’autres au départ et qui font des choses formidables. Je pense que c’est dans cette vision de l’élite que j’ai envie d’embarquer et dans laquelle j’ai envie de croire. 

Je crois beaucoup plus à l’impact de l’initiative individuelle que collective. Cette image du colibri qui vient avec sa petite goutte d’eau éteindre l’incendie. J’ai travaillé pendant 15 ans en finance et le sujet de l’impact, je l’ai vu naître et je le connais bien. C’est avant tout un engagement que l’on mesure ex-post. La réalité c’est que les entreprises, parce que ce sont de grosses organisations, parce qu’elles sont difficiles à bouger, prennent souvent beaucoup de chemins de traverse. C’est ce que l’on appelle parfois communément le greenwashing. Je crois beaucoup au fait que c’est chacun à son niveau qui a de l’impact dans ce qu’il fait, et que c’est cette force de l’individuel qui fait la force du collectif. Beaucoup plus que cet aspect qui serait plutôt top dow de dire que ce sont les organisations qui doivent avoir de l’impact. Je pense que ce sont les individus au sein des organisations qui, de par leur impact, feront évoluer finalement l’écosystème.

Rebecca Fischer Bensoussan

Rebecca Fischer Bensoussan

C’est aussi pour cela que les entreprises à impact sont surtout des entreprises non cotées. Parce que c’est là où l’on peut bouger des lignes. J’ai travaillé dans des entreprises qui vendaient des fonds cotés. L’impact y est beaucoup plus compliqué. Alors que dans l’écosystème des startups, c’est plein de petites initiatives qui ont permis de faire qu’aujourd’hui cette notion d’impact a pu trouver beaucoup plus de place.

Il y a une différence entre rôle modèle et leader. Le rôle modèle, c’est par rapport aux autres. C’est la façon dont les autres nous voient et la façon dont cela peut les porter. Alors que leadership, c’est une posture. C’est quelque chose que l’on dégage et que l’on incarne, parce que l’on est. Les deux peuvent aller ensemble, mais ils peuvent être aussi totalement dissociés. 

J’ai eu des jobs qui m’ont mis dans une position de rôle modèle, ce dont je ne m’étais pas rendu compte en les prenant. J’ai été recrutée à 35 ans dans un Comité de direction d’une société de gestion et j’étais enceinte de mon troisième enfant. C’est assez rare, malheureusement encore, ce le sera peut-être moins demain. Je suis arrivée avec mon ventre de quatre mois et demi dans ce job dans lequel j’étais effectivement la plus jeune, où personne ne m’attendait, où je remplaçais quelqu’un qui était bien plus âgé que moi et qui n’était pas une femme. J’y suis allée en me disant, si on pense que je peux le faire, c’est que je peux le faire.  Avec beaucoup de simplicité. Je ne me suis pas rendu compte sur le moment, mais après, à quel point cela avait été impactant pour les femmes de mes équipes et d’autres équipes dans l’entreprise qui c’étaient dit « en fait, c’est que c’est possible ! ». Se dire, je vais oser, je vais y aller, puis on verra bien. Cela a des incidences super positives après. Aujourd’hui j’ai quitté cette entreprise, mais beaucoup de femmes qui étaient dans mes équipes ont pris des jobs à responsabilité ailleurs. Beaucoup m’ont écrit qu’elles s’étaient rendues compte en me voyant arriver qu’en fait, c’était possible. Les limites ne sont que celles que l’on s’impose à nous- mêmes. 

Pour moi, faire bouger les lignes, c’est aussi faire sauter beaucoup de tabous. Je suis un pur produit du Corporate qui m’a construit, fait grandir et a fait ce que je suis aujourd’hui. Mais j’avais quand même ce sentiment d’impuissance de me dire « il y a tellement de choses qu’il faudrait changer, mais dans l’entreprise, seule, je n’y arriverais pas ». Yolo, la start-up que j’ai cofondée avec mon associée Camille, c’est hyper disruptif dans l’approche, parce que ce que l’on va dire aux entreprises, concrètement aujourd’hui, si vous voulez atteindre vos objectifs de parité, vous ne pouvez plus considérer que c’est à la charge des femmes de gérer leur vie personnelle. Parce que tant que vous ne traiterez pas ce sujet de l’impossible conciliation de la vie pro/perso, vous n’arrivez jamais à retenir, à promouvoir et développer des talents féminins. L’entreprise doit comprendre, et c’est très challengeant pour elle. Cette surcharge mentale est un frein à la carrière des femmes. Cela c’est un énorme tabou.

Lucille Desjoncquères

Lucille Desjoncquères

J’associe l’impact au sens, à du durable, aux femmes, à l’influence positive à long terme. Une capacité à embarquer les autres femmes qui osent moins, peut-être. On peut prendre aussi l’exemple de Bill Gates, qui a embarqué un grand nombre de milliardaires pour mettre leurs familles à l’abri et ensuite distribuer. Cela a été un mouvement extrêmement profitable pour la planète, et là, pour le coup, parce qu’il a énormément d’argent en jeu. 

Je pense que le leadership est bienvenu pour accélérer l’impact. Pour avoir une capacité à embarquer des gens sur de beaux projets, il faut avoir un talent de conviction. Si tu as une personnalité un peu neutre, ce sera plus compliqué. Plus on est portée par son projet, plus le leadership se grave dans nos cellules et les montagnes s’escaladent. 

Leader, on est déjà leader de soi-même, sans forcément être le modèle pour qui que ce soit. Il y a beaucoup des rôles modèles et trop méconnus, d’ailleurs. Quelquefois on me demande, qui est votre modèle ? Je suis incapable de répondre à cela puisqu’il y en a une quantité incroyable. Qui doit l’être plus que l’autre ?

J’ai fait bouger des lignes car j’ai surfé sur la vague des quotas de femmes dans les Conseils d’administration, en souhaitant bâtir au sein du cabinet une base de données qui allait rassembler toutes ces femmes qui avaient des parcours hallucinants. Je l’ai fait dans une dynamique extrêmement business et c’est au contact de ces femmes que je suis devenue totalement engagée et présidente de l’association International Women’s Forum en France. Parce que j’avais face à moi des femmes qui avaient entre trois et quatre enfants, des parcours internationaux, une charge mentale énorme. Et au-delà de cela, elles n’avaient pas suffisamment confiance en elles. Beaucoup manque d’audace. Je n’ai pas réfléchi, mais cela m’a fait me dépasser moi-même parce que j’étais tellement subjuguée par ce qu’elles étaient et effarée par ce manque de confiance et par le fait qu’il faille des quotas pour mettre ce genre de femmes dans les entreprises que je suis partie comme une météorite sur ce sujet, et j’ai fait bouger les lignes en faisant savoir haut et fort que ces femmes existaient. 

À l’époque, il y avait peu de sociétés qui s’engageaient comme cela. Du coup, les médias sont venus. Puis j’ai animé des conférences, alors qu’il y a encore un an avant cela, j’étais incapable de prendre un micro et de m’exprimer ne serait-ce que devant trois personnes. Donc on est dans le donner- recevoir. Finalement quand on part comme cela sur un sujet sociétal d’une telle importance, qu’est la femme, on se surprend soi-même dans cet engouement à pouvoir faire des choses qui font bouger les lignes. Et le message de ce que je suis en train de dire est : si je l’ai fait, toutes les femmes peuvent le faire. Il ne faut vraiment pas être enfermé dans ses propres croyances. Il faut y aller.