Guila Clara Kessous
Dans mon cabinet de coaching, je reçois presque que des hauts potentiels, ou en tout cas, des gens qui pensent l’être. Ce sont des personnes qui sont des experts, beaucoup d’ingénieurs, beaucoup de doctorants. Des personnes, en fait, qui ont réussi à mener leur carrière avec un QI qui est assez important, qui sont dirigeants de boîtes. Ce qui est très intéressant, c’est qu’aujourd’hui, s’ils viennent à moi, c’est qu’ils s’intéressent à autre chose que justement avoir plus de matières à engranger dans leur QI. C’est-à-dire autre chose qu’une faculté de sélection, de tri, d’ordres à donner. Ils viennent justement pour développer ces qualités d’être qui ont à voir non plus avec les KPI, mais les KBI, c’est-à-dire les Key Behavioral Indicators, des clés d’indicateurs comportementaux.
Ce que je fais comme différence entre un QI qui généralement est relié au haut potentiel, mais qui ne réussira à donner un vrai haut potentiel que s’il est ancré dans le comportemental. Aujourd’hui nous sommes face à ce que l’on appelle les nouvelles intelligences.
Une des intelligences les plus à la mode, c’est l’intelligence situationnelle. La capacité de rebondir face à l’inattendu, face à l’incertain. Et aujourd’hui le haut potentiel doit avoir des qualités non seulement intellectuelles, mais surtout des qualités de cœur, des qualités comportementales qui vont lui permettre, en faisant appel à une autre intelligence, de véritablement faire front pour viser une efficacité.
On parle beaucoup de leadership, une notion qui est assez conceptuelle. Surtout on se dit que le leader est quand même plus noble que le manager. Le manager a les mains dans le cambouis, il manage, donc il gère la relation humaine. Le manager est un peu vu comme un cuisinier, c’est pourquoi on vient me voir en termes de coaching. Les gens ne comprennent pas qu’ils doivent faire du baby-sitting, alors que ce sont des experts au QI élevé. Ils viennent nous voir, en disant « mais finalement dans mon métier, je n’exerce pas la profession pour laquelle j’ai signé, je suis obligé de faire du management, gérer les relations, gérer qui est en copie des e-mails, gérer les égos. Donc ce n’est pas du leadership, c’est du management ».
Je dis toujours que la différence entre le leadership et le management c’est que le leadership c’est un art de mise à voir de soi-même. C’est ce qui est peut-être le plus difficile au niveau féminin. C’est-à-dire vraiment une acceptation de pouvoir guider. Mais pour pouvoir guider, il faut être visible. Donc une acceptation d’être visible physiquement, d’accepter le regard de l’autre qui est très violent, et de pouvoir montrer le chemin.
Le manager est dans l’ombre, alors que le leader ose monter sur scène et il ose s’exposer. Lorsque l’on parle de leadership et selon la taille des followers, cela demande un certain degré d’exposition plus ou moins grand.
Est-ce que l’on naît leader ? Je trouve que l’on ne naît jamais avec un certain charisme. On a une certaine capacité à accepter le regard de l’autre ou pas, assez naturelle. Vous avez des gens qui s’expriment et qui sont extravertis. Donc il y a un côté extrêmement facile avec le relationnel. Vous en avez d’autres qui sont plus timides. Mais lorsque l’on parle de leadership, c’est-à-dire d’entraîner, de faire adhérer, de suivi, pour moi, c’est un vrai travail sur soi avec une conscience de l’image que l’on renvoie et un travail de conscience physique de la capacité d’entraînement que l’on peut générer.
Quelle est la différence entre un rôle model et un leader ? Le rôle model inspire. C’est quelqu’un qui, par son être, tout d’un coup nous touche parce qu’il est complet. Il est presque charismatique, mais d’un point de vue spirituel. Il a quelque chose qui nous montre une réalité différente de la nôtre, pure, profonde, intense et incarnée qui fait que je suis attirée. On pourrait dire que c’est un followership, mais un followership spontané, quasi intuitif. Alors que le leader, pour moi, il doit quand même incarner un certain degré de conviction. Donc je le suis, mais je le suis intellectuellement, je ne le suis pas seulement intuitivement, physiquement, je le suis parce que ce que je défends est suivable d’une certaine manière.
Je viens du monde du théâtre. En tant qu’artiste de l’UNESCO pour la paix, j’aide à l’expression, en particulier des victimes de syndromes post- traumatiques, à pouvoir prendre la parole grâce au théâtre. Lorsque l’on parle d’alignement, c’est qu’en fait, le corps va refléter tout à fait justement ce qui a été ressenti et cela va sortir par des mots. On va vraiment essayer de faire en sorte que le « all being », c’est-à-dire tout l’être de la personne, soit réconcilié par rapport à ce dysfonctionnement qui peut être un trauma.
J’aime beaucoup, au niveau exécutif, un alignement qui serait un alignement d’arbres avec des racines, vis-à-vis de ceux à qui l’on doit des choses, la famille, mais aussi des mentors, des leaders que l’on a pu rencontrer. Un tronc qui nous est propre avec nos propres valeurs, avec nos propres convictions. Puis, les branches, pour se donner par les branches une possibilité d’expansion, d’aller en dehors de l’alignement, de travailler à son rayonnement. Finalement, je donne mon droit à mon alignement. C’est-à-dire que si je décide qu’à ma droite, il y a une possibilité de fleurissement, j’utilise cet espace et je fais en sorte que cet espace devienne aligné, parce que c’est relié, hydraté avec le reste.
Pour moi, s’il y avait une nouvelle élite, c’est l’inverse de l’élite qu’il y a pu y avoir jusqu’à présent. C’est-à-dire que c’est une élite engagée. C’est une élite qui a une conscience de ce qu’elle doit, puisque « élite » vient s’opposer à une collectivité. Pour faire partie de l’élite, il faut se rendre compte de ce que l’on doit au côté non-élite et s’engager justement pour faire en sorte qu’il n’y ait plus d’élite. Essayer de pouvoir gommer cette possibilité d’avoir un règne des meilleurs. Je trouve que le futur des élites, c’est justement de faire prendre conscience du statut élitiste d’être humain, tout simplement, donc une élite de réconciliation ?
Je n’ai jamais passé un test de quotient intellectuel … parce que j’ai toujours eu peur du résultat !
Après des tests de haut potentiel, on m’a dit que j’avais de très hauts potentiels. Pour moi cela induit une réussite professionnelle liée à la performance puisque les caractéristiques pour la performance sont la curiosité, l’émotivité, la conscience de soi, l’approche des risques, l’acceptation et la compétitivité. Donc, grâce à ces axes qui définissent la performance professionnelle, on peut faire des tests et voir où et comment on peut s’améliorer et par quels moyens.
Une petite anecdote. J’ai travaillé pendant plus de 17 ans dans une entreprise une PME française leader en Intelligence artificielle, et je n’ai jamais entendu parler de leadership. On a été racheté par des Américains et un manager de transition est arrivé, puis on a parlé, et mon manager m’a dit : « Stéphanie, tu as du leadership ». Et le manager de transition de renchérir « tu as un leadership naturel ». Donc sur le coup, je tape sur Google et je vois : « Leadership : charisme, personne qui permet de rassurer les autres, qui inspire. » Pour moi, cela peut être inné. Il faut continuer de nourrir cette affinité pour ensuite réunir les gens autour de vous afin de les motiver et les amener là où vous voulez les amener. Cela se cultive.
Stéphanie de Luca
Avant d’aller vers la relation aux autres, il faut déjà apprendre à se connaître, aller vers soi-même, approfondir, connaître ses forces et ses faiblesses pour pouvoir ensuite améliorer sa relation avec les autres et être à même de répondre, de faire preuve d’écoute et de s’enrichir du partage de l’expérience. C’est le parcours de la Vie.
Je suis une éponge à émotions. Dans une salle, je sais qui ne va pas bien, je le ressens, le stress, la joie. Mais il a fallu que je canalise tout cela parce que j’avais un trop-plein d’émotions. La vie m’a permis de mettre en perspective ces émotions et ne pas faire « poker face », mais savoir répondre au lieu de réagir et de prendre un peu de recul face à ces émotions et me protéger un petit peu, tout en me livrant aussi. J’ai eu cette période où j’ai coupé toute ouverture parce que j’avais peur de me fragiliser, de me montrer telle que j’étais. Finalement, on se coupe de beaucoup de choses en faisant cela. Une formation m’a beaucoup aidée à m’ouvrir. Finalement, en s’ouvrant la première, on voit que l’on reçoit beaucoup et encore plus. Dans la relation à l’autre, j’ai appris à avoir confiance, à ne pas attendre que l’autre me fasse d’abord confiance, mais à donner ma confiance d’emblée. Je me montre telle que je suis. Il n’y a pas de filtre. Les autres me le rendent au quintuple.
Grâce à l’ESSEC, en formation, je me suis transformée. J’avais appris le management avec de la souffrance. Je n’avais pas eu de formation de base. Cela m’a permis de revoir les fondamentaux du mangement et les postures managériales. Lorsque j’ai fini ma formation et mon mémoire, je suis allée voir mes équipes et je me suis excusée. Parce que la façon dont je me comportais n’était pas saine. J’attendais qu’ils me fassent confiance. Cela ne marche pas de cette manière. C’est à moi de leur faire confiance et leur montrer que je leur fais confiance suffisamment pour pouvoir avancer, se dépasser.
Le mot élite me dérangeait parce que je ne viens pas d’une élite. L’élite, je la relie aux valeurs, à la persévérance, à la force, au courage de dépasser ses propres limites. On est l’élite de soi-même, peut-être, je ne sais pas.
Julie Payet
Pour moi, le QI n’est pas le haut potentiel. Cela se développe à travers les expériences, mais aussi parce qu’à un moment donné, on est reconnu comme haut potentiel. Si l’on n’est pas perçu comme haut potentiel, on ne pourra pas le développer. Pour cela, il y a deux éléments. Le premier c’est qu’il faut franchir des barrières mentales. Il y a un moment où il faut oser dire « je suis un haut potentiel ». Puis, il y a un deuxième élément, il faut aussi être dans un environnement où l’on cherche des hauts potentiels. Si l’on est cachée dans son coin, on ne sera pas repérée comme telle non plus. Voilà, pour moi, à la fois la définition et les conditions de développement du haut potentiel.
J’ai commencé ma carrière en essayant d’être la plus brillante possible selon ce que l’on avait appris à l’école, puis j’ai fini par me heurter à un très gros mur qui s’est transformé en burn- out.
J’ai eu la chance après d’intégrer une société qui mettait un poids énorme sur le management et la connexion à l’autre. J’avais compris que c’était ce qui me manquait. J’étais très à l’écoute, alors que je ne l’aurais pas forcément été avant. C’est une société dans laquelle on commençait par te dire, quand tu arrivais : « On n’attend rien de toi, pendant trois mois, si ce n’est d’être connectée avec les autres et de construire tes relations, ton réseau. Je ne veux aucun résultat concret, je veux juste cela. » Cela a été une très grande leçon. C’est à partir de là que j’ai vraiment développé ma relation à l’autre et que je suis sortie de cette bulle intellectuelle dans laquelle l’école m’avait mise. J’ai pu, après, bien grandir.
Chaque situation peut distinguer un leadership différent, et au fur et à mesure que l’on avance dans l’entreprise, à chaque niveau, il faut l’exprimer différemment. Ce ne sont pas les mêmes qualités qui sont demandées. Si vous avez une petite équipe de commerciaux, elle ne nécessite pas le même leadership qu’une grosse équipe de managers expérimentés. Même s’il y a quelques qualités humaines communes, il faut nécessairement développer sa manière d’être d’un leader pour justement pouvoir traiter des situations différentes au fur et à mesure des carrières.
Pendant des années je me suis posée la question du leadership parce qu’on me disait « il faut être un leader ». J’en voyais autour de moi, mais je n’étais pas comme cela. Je me posais beaucoup de questions à propos de « est-ce que je suis faite pour être leader ? ». Puis j’ai arrêté de vouloir être leader et j’ai commencé à me centrer. Comme j’aime les gens, j’ai commencé à beaucoup les écouter, et finalement à rayonner de l’intérieur. Je crois que je suis en train de devenir une leader. Parce que je commence à accepter ce rayonnement qui va me permettre après, avec des convictions, d’amener les autres.
Pour être alignée, il y a une espèce de minimum et une espèce de maximum. Le minimum c’est de ne pas agir contre ses valeurs. Comme pour moi la famille est quelque chose de très important, je rajoute à cela, ne pas travailler au détriment de sa famille, parce qu’il y a un équilibre à garder. Il y a aussi un maximum, lorsque l’on est vraiment dans la promotion de ses valeurs. C’est-à-dire que l’on est tellement en ligne avec elles, au jour le jour, que l’on peut les promouvoir. Nous sommes alors dans un épanouissement qui développe les gens que l’on a autour de soi.
Ce que j’ai découvert, c’est qu’une fois que l’on accepte cette intelligence émotionnelle, cette relation à l’autre, on peut avoir confiance et développer son intuition. Et le pouvoir de l’intuition, c’est un truc absolument fantastique. Maintenant quand je rentre dans une salle, je sais tout de suite qui va bien et qui ne va pas bien, s’il s’est passé quelque chose entre ces deux personnes-là, etc. Je suis capable de décrypter des situations et d’utiliser cela dans mes prises de décisions, sur la façon de manager des gens ou de mener des actions. L’intelligence émotionnelle, c’est fondamental. Sans cela, on n’avance pas.
Nous avons eu pendant très longtemps une élite statutaire. Pour moi, il faut revenir à l’intérêt commun. Une vraie élite, c’est une élite qui sert l’intérêt commun, l’intérêt général et pas les égos des uns et des autres. Des leaders capables de créer un climat de confiance qui permet à chacun.e de donner le meilleur de soi-même. Je pense que l’élite c’est celle qui a le courage. Parce que c’est la mère de toutes les vertus, le courage. Cela entraîne tout le monde.
J’ai toujours réfléchi entre performance et excellence. Pour moi, la performance c’est le monde du QI, et l’excellence le monde des talents. Je crois que les gens qui sont alignés sur leurs talents et qui l’expriment sont le meilleur d’eux-mêmes. Ce sont eux qui expriment leur haut potentiel.
La connexion avec moi-même est fondamental. C’est parce que l’on s’écoute que nous sommes capables soit d’identifier les feux rouges, soit d’identifier les gens qui vous font du bien, des situations qui vous font du bien, là où vous vous sentez bien. L’un des vecteurs du comment, c’est le plaisir. Et le plaisir a un avantage, c’est qu’on le ressent tout de suite. Charité bien ordonnée commence par soi-même.
Pour moi, le leadership n’est pas briller, ce n’est pas être vue, c’est rayonner. Si je me remémore tous les gens qui pour moi sont des leaders, ce sont des gens qui m’ont tellement inspiré que j’ai eu envie de les suivre. Cela peut toucher des profils complètement différents. Par exemple, je pense à un paysan que j’ai croisé un jour chez des amis qui est un vieux monsieur de 80 ans, qui a une espèce de posture intérieure … Il est rayonnant cet homme, et très inspirant. Il est inspirant par sa posture et par la force de sa posture. Et pourtant, il n’a rien à m’apprendre d’intellectuel. Mais ce qu’il est, la manière qu’il a de m’accueillir, de me servir son petit pastis, je ne sais pas comment vous dire, mais lui, pour moi, c’est un leader.
Caroline De La Palme
C’est vraiment la différence entre briller et rayonner. Justement, on n’est pas dans la lumière paillette, on est dans une forme de rayonnement intérieur qui est tellement posé et aligné que cela vous transperce. C’est vrai que ces gens-là, on a envie de les suivre, on a envie de les voir, on a envie de les écouter, on a envie de les entendre.
En fait, le leadership pourrait être une sorte de témoin que l’on se passe les uns aux autres dans des moments de notre vie, sur certains sujets, comme une sorte de relais.
Les émotions touchent. Quand vous avez une cantatrice qui chante parfait, vous l’écoutez. Lorsqu’il y en a une qui chante et qui a la voix qui fêle, à ce moment-là, vous êtes touchée en plein cœur. Parce que c’est justement la chute, l’émotion de cette voix qui casse, qui me touche, je me dis qu’elle est en train d’exprimer quelque chose, et c’est un cœur à cœur. C’est cela qui me touche.
Dans le mot élite, il y a quelque chose qui me dérange parce qu’il y a quelque chose qui sépare : j’en suis ou je n’en suis pas. Je n’aime pas les solutions qui séparent parce que, pour moi, le fonctionnement c’est qu’il faut que tout le monde soit dedans. Sinon on se prive de l’énergie d’une partie du groupe. Et s’il n’y est pas, il ne suivra pas. En même temps, je prends conscience qu’il en faut des élites pour entraîner le mouvement. J’aime beaucoup l’idée d’être au service de l’intérêt général. S’il y avait une métaphore que j’utiliserais, c’est un peu un parapluie inversé. C’est-à-dire, que l’élite est celle qui va tenir ce parapluie et qui va donner une espèce de direction avec un prisme très large du champ dans lequel on va jouer. Je pense que cela peut être une métaphore assez parlante… Mais je n’aime pas l’idée de dire qu’il y en a qui le sont et d’autres qui ne le sont pas.