Catherine Blanc
Dans ma carrière j’ai été sollicitée dans le cadre des médias, donc il m’a fallu faire entendre ma voix. J’étais encore une jeune femme à ce moment-là, et faire entendre ma voix sur la base de quelles écoles, sur la base de combien d’années de clinique ? Évidemment avec en face de moi, d’autres intervenants qui pouvaient être psychiatres hommes, il y avait des femmes, bien sûr, mais majoritairement plutôt des hommes. Il fallait tout d’un coup que je sois autre chose que simplement une jolie image.
Il y a eu des moments où ce fut compliqué. Je me suis rendue compte que je me rigidifiais un peu. Je faisais plus sérieuse. Je n’osais pas la souplesse de mon discours. Je n’osais pas les sourires par peur d’être coincée dans une image trop sur le physique, j’allais dire, de la femme, comme si la femme ne pouvait avoir qu’un physique. Donc j’étais même un peu trop dure, je me trouvais après épouvantablement rigide. Et pour une sexologue, je trouvais cela pas très vendeur ! J’étais toujours coincée entre l’idée de ne pas être trop féminine et l’idée de ne pas être complètement coincée. C’était assez difficile et une très belle expérience parce qu’il m’a fallu justement m’autoriser à trouver ma voie, bien que j’ai eu en compte-rendu des phrases comme « Catherine, elle est fraîche ! ». Cela voulait tout dire. Je me suis dit qu’il y avait vraiment du chemin. C’est bien, ça fait grandir !
J’ai travaillé pour Europe 1, également pour beaucoup en télévision, TVA, Canal, France 2, M6. À chaque fois, il a fallu me confronter à l’image que l’on croit que l’on attend de soi, l’image que l’on veut donner de soi et aussi s’émanciper. Qui a le droit de parler publiquement ? Faut-il avoir un âge, un sexe certain ? Faut-il avoir quelque chose de différent à dire ? Cela pose vraiment la question de comment se placer par rapport aux autres. Par rapport aux hommes et par rapport à ma famille aussi. Parce que j’ai beaucoup entendu : « mais au nom de quoi, tu te permets de parler publiquement ! » Ou « comment ça, tu vas écrire un livre ! Mais pour dire quoi ? ». Comme si je ne pouvais pas m’appuyer simplement sur mon expérience personnelle et sur ma clinique.
Ce qui m’a fait expérimenter beaucoup de choses. Souvent je ne me suis pas enfermée dans un truc que je maîtrisais, au grand désespoir de mon mari qui me dit : « Puisque tu sais faire, pourquoi tu ne restes pas là où tu sais faire ? ». Justement, parce que je sais le faire. J’ai envie d’explorer par curiosité autre chose. Donc je me suis beaucoup mise dans le risque, avec des victoires, avec des échecs cuisants, mais j’ai beaucoup appris et je n’ai pas fini.
J’ai le sentiment que j’ai un peu bidouillé pour ne pas me retrouver dans des situations parfois questionnantes pour savoir si j’étais à la hauteur ou pas. Je crois que j’ai trouvé la parade par la vie en libéral. Parce que du coup, je me suis offert le rythme, même si j’ai de toute façon le regard de qui vient me consulter et des gens qui m’adressent des patients. Cela a d’abord été ma patientèle qui m’a envoyé elle-même des personnes, ce qui est la plus belle des récompenses. Mais il y avait aussi des acteurs d’autres métiers, des médecins, des spécialistes divers et variés qui avaient le retour de ce que je faisais ou pas. Mais d’une certaine manière j’étais dans ma bulle et j’ai bien conscience que cela a été confortable pour me développer, pour ouvrir mes ailes. Forte de cela, j’ai eu envie d’aller me confronter, parce que je ne suis pas un animal solitaire. Je parlais des médias, mais aussi à travers des conférences en prenant la parole et au risque d’être bousculée et dérangée par les uns et les autres.
La peur n’est pas genrée, elle est chez tout le monde. Effectivement, on se compare. Comment peut-on faire autrement ? C’est le propre de l’être humain. Ce sur quoi je me suis appuyée ? Profondément sur mon désir. Une curiosité, un cerveau qui a envie de faire dix mille choses. Quand je suis sollicitée, je me dis : « je ne sais pas du tout comment je vais faire ce truc, mais s’ils ont pensé que je pouvais le faire, c’est que je dois avoir les moyens de le faire ». Ce qui est un tremplin formidable.
Lorsque j’ai eu des missions qui me faisaient sortir de ma zone de confort, je me disais que je ne pouvais pas échouer. Et cela à occasionner des comportements peut-être plus durs, plus travailleurs : « je ne dois pas échouer », « je dois travailler plus pour montrer que je sais faire », etc.
Ensuite, inconsciemment, j’ai eu une stratégie qui était de ne pas demander, d’attendre que l’on me propose pour éviter que je ne sois pas à la hauteur. Je n’ai pas fait comme d’autres quand il y avait des postes disponibles. Je n’ai pas dit « oui, je sais le faire « si je n’étais pas sûre de savoir le faire. Je ne me suis pas proposée. Deux comportements finalement qui, je pense, viennent d’un manque d’assurance, ou en tout cas, de la peur de ne pas être à la hauteur.
J’ai abordé ma vie professionnelle en pensant dès le départ qu’est-ce que je voulais vraiment faire de ma vie. En me posant cette question, même adolescente, cela a déterminé mes études. J’étais plutôt faite pour être ingénieure. Je suis allée vers une école de commerce, en me disant que plus d’humanité m’intéressait davantage. Et que dans le monde d’ingénieurs, en tant que femme, j’allais trop souffrir. J’ai donc décider d’aller plutôt financer les choses que les construire, ce qui m’allait aussi.
Claire Iversenc
Ensuite, ayant une vision assez claire de ce que je souhaitais ou ne souhaitais pas dans la vie, cela ne m’a posé aucun problème de dire non, dès que cela sortait de ce que je voulais vraiment. En second poste, on m’a dit que la voie royale pour ma carrière était d’aller dans telle direction. J’ai dit non. J’ai postulé pour aller là où je le désirais vraiment. Je ne suis pas allée là où on me conseillait d’aller, et j’ai choisi ma voie.
En fait, choisir sa voie in fine, cela amène tout autant à la réussite. Bien sûr, il y a des gens qui font des carrières plus fulgurantes. Moi je suis très contente avec celle que j’ai eue. Le déclencheur a été une claire vision de ce que je voulais vraiment, qui m’a suivi toute ma vie, et qui année après année, ne s’est jamais démentie, heureusement.
Comment se connaître soi-même ? C’est pouvoir écouter vraiment ses envies. En particulier se poser la question de « qu’est-ce que j’ai envie de faire de ma vie, j’en ai qu’une ? Qu’est-ce que j’ai envie de faire avec ? ». Accepter de se tromper. On essaye un truc, on pense que c’est cela, on essaye, ça marche, super, on continue, ça ne marche pas, on change. Je dirais aussi d’être indulgente ou douce avec soi-même.
Si j’avais un conseil à donner, c’est une méthode que j’ai trouvée qui a vraiment bien fonctionnée. Dès que j’ai un doute sur une décision, je m’imagine à 80 ans face à mon miroir, et je me dis « est-ce que je serais fière de ma décision ? ». J’ai suivi ce driver toute ma vie. Si la réponse était oui, j’y allais. Si la réponse était non, je refusais.
Dorothée Dehecq
J’ai vécu la peur de ne pas être à la hauteur à deux moments de ma carrière. Le premier était lors de mon retour de mon premier congé maternité. Lorsque je suis arrivée, pas de bureau, pas d’ordinateur, pas de téléphone, … réellement oubliée ! Après huit mois, on avait oublié que je revenais, et donc je n’avais pas de bureau près de mon équipe. J’ai été loin de toute l’équipe pendant deux mois avant qu’ils me trouvent un bureau. J’étais loin géographiquement, pas connectée pendant deux mois, et j’avais l’impression d’avoir un cerveau qui avait ramolli, de ne rien comprendre, de ne pas être dans le rythme. Je me suis vraiment demandée si j’allais arriver à remonter sur le cheval. En fait, dès que j’ai eu un bureau dans l’équipe, c’était reparti. Quant au deuxième, c’est au retour de mon troisième congé maternité. Je reviens au bout d’un an, et là, il y avait un client que j’arrivais très bien à suivre avant de partir, qui allait mille fois plus vite que moi à mon retour. La relation est devenue très agressive. Forte de ma première expérience, j’ai tout de suite levé le doigt auprès de mon manager. Il est intervenu auprès du client et c’est rentré dans l’ordre.
Je voudrais revenir sur la question de l’universalité de cette proportion féminine à l’auto sabotage. J’ai eu l’occasion de travailler avec des pays différents au cours de ma carrière. J’ai noté notamment deux types de femmes qui m’ont frappé par leurs comportements : les Américaines – on pouvait s’y attendre –, mais également les Chinoises. J’ai beaucoup travaillé avec des Chinoises de Taïwan et de Hong Kong avant que ne s’ouvre la République populaire de Chine.
Pour elles, comme pour les Américaines, j’ai pu constater qu’il y avait beaucoup moins de questionnements par rapport à la légitimité et à la confiance. On pourrait les qualifier de fonceuses ces femmes-là. Elles ont beaucoup moins d’états d’âme que peut-être ne peuvent en avoir, par exemple, les Françaises qui justement se demandent toujours si elles ont à la hauteur ou si elles vont réussir. J’ai trouvé que ces businesswomen étaient des rouleaux compresseurs. Elles fonctionnaient comme des machines. Parfois, on se demandait si elles avaient une sensibilité quelconque.
Les Anglo-Saxons et les Hollandais travaillent beaucoup à l’efficacité. Ce qu’ils regardent, ce sont les résultats. En France, on regarde parfois les résultats, mais on regarde aussi le chemin, le réseau, etc. Je pense que c’est aussi une histoire de personnalités. Dans les écoles, dans les parcours scolaires (je connais les Canadiens, les Néerlandais et les Allemands), l’étudiant ou le jeune adulte doit prendre son destin en main, c’est moins cadré et du coup, assez vite, ils se posent des questions, ils avancent. Dans les universités américaines et canadiennes, on peut facilement changer de parcours. On peut s’autoriser à plus de choses. Peut-être que le fait qu’on leur autorise cela, dès le plus jeune âge, font que les femmes ont davantage cette confiance en elles ensuite quand elles sont dans le monde professionnel.
Je trouve que la nouvelle génération se sent aussi beaucoup plus libre. Je le vois via mes enfants et leurs amies filles dans leurs universités diverses. Les filles ne se posent pas la question si elles sont une fille ou un garçon. Dans les modules entrepreneurs, il y a autant de filles que de garçons. Aujourd’hui la culture globale lève certains freins que nous avons pu avoir (et je ne parle même pas de nos mères !). Les choses évoluent dans le bon sens.
J’ai commencé il y a une dizaine d’années dans l’univers du sport. Je travaillais chez Nike. C’était un milieu extrêmement masculin, très sportif. Ils disaient « nous sommes des Américains buveurs de bière ». Bref. Donc, ce n’était pas du tout mon profil. Lorsque je suis arrivée là, j’étais un petit peu surprise, il a bien fallu que je m’adapte. Au cours des cinq années que j’y ai passées, j’ai eu constamment ce sentiment de me dire, mais suis-je vraiment à ma place. Est-ce que je délivre autant que je le devrais ? Parce qu’on était quand même dans un environnement assez machiste. Donc, moi, je ne prenais pas conscience de ce contexte machiste, mais je me disais simplement, est-ce que c’est moi qui suis en dessous des performances que je devrais délivrer ? Ou est-ce que réellement il y a un problème de perception ?
Je me rappelle d’un épisode très particulier où mon mari était venu me chercher à l’aéroport de retour d’un de mes voyages dans l’Oregon avec mon fils qui avait quelques mois. J’ai pris mon fils dans mes bras et qui m’a tourné la tête une première fois. Je l’ai remis face à moi, et il a retourné la tête une seconde fois. Là, je me suis dit que j’étais en train de passer à côté de quelque chose. Cela a été une sorte de dilemme pour moi. Soit je privilégiais ma carrière et mes nombreux voyages impératifs (je devais passer par ce programme américain et me plier à ce que l’on attendait de moi), mais en revanche, je risquais de mettre en péril mes débuts de jeune maman. Soit je renoncais, parce que cela ne pouvait pas fonctionner ainsi pour moi.
Dominique Delale
J’ai essayé d’expliquer à mon employeur de l’époque. Cela n’a pas été entendu du tout. J’ai compris qu’il n’y avait pas d’issue, que c’était un obstacle totalement bloquant pour mon développement en interne. Et j’ai choisi de renoncer. Je me suis sabotée dans le sens où en refusant je savais très bien que je mettais fin à mon évolution dans cette société. En même temps, j’ai fait le choix de dire « je ne veux pas sacrifier ma vie personnelle et de mère ». Cela m’a amené à ce moment-là à changer carrément de secteur d’activité et à me tourner vers le secteur du luxe dans lequel j’ai évolué par la suite et encore aujourd’hui.
Puis il y a eu un deuxième déclencheur lorsque j’étais chez Vuitton. Je pense avoir touché les limites d’une organisation pluri dimensionnelle, extrêmement sauvage, où j’ai compris que cela ne rentrait plus en résonnance avec mes propres valeurs et mon envie de fonctionner. Là encore, je me suis sabotée dans le sens où l’on m’a fait une proposition que j’ai refusée, sachant qu’en la refusant, de nouveau je me mettais dans une situation de blocage qui m’amènerait à en partir, et c’est ce qui s’est passé. Mais je ne me voyais pas continuer à évoluer à contre-courant de mes moteurs profonds.
J’ai aussi confronté à mes propres auto sabotages. Lorsqu’en interne, par exemple, il y avait un poste ouvert, je me suis souvent demandée « est-ce que je suis capable » ? Parfois je me suis interdite de postuler en me disant « je ne vais pas y arriver, je ne coche pas toutes les cases ». Alors que j’ai vu certains de mes pairs, plutôt des hommes en général, qui étaient loin d’avoir tout le scope attendu par le poste en question, qui n’avaient aucune hésitation à postuler et qui ne voyaient aucun problème, en se disant « ce n’est pas grave, si je ne sais pas faire 25 % des tâches, cela ne pose aucun problème ».
En tant que femme, on se dit qu’il faut être au moins à 100 % ou 110 % de ce qui est attendu. Donc, parfois, on passe à côté d’opportunité comme cela, par un manque de confiance.