Témoignages EPISODE 3 Faire la paix avec les règles du jeu du monde de l’entreprise

Isabelle Baillancourt

Isabelle Baillancourt

En tant que grand reporter de guerre pour la chaîne de télévision française TF1, j’ai dû à un moment donné faire passer mon identité personnelle après mon rôle professionnel. Sur un terrain de guerre, un terrain un peu compliqué, il a fallu que je prenne tous les codes masculins, que l’on appelait les outils, pour faire les grands reportages sur lesquels on m’envoyait. Ce n’était pas mon identité. C’était les codes, et j’ai marché. Ou en tout cas, j’ai enfoui ma personnalité qui m’amenait plus à rapporter l’histoire que je voyais, le conflit que je voyais, ce que j’appelle à hauteur de femme, à hauteur de témoignage et non pas à hauteur de terrorisme et de tous les grands mots que l’on peut utiliser (et qui sont souvent utilisés dans un monde parfois masculin).

On se découvre surtout sur des terrains difficiles, des terrains de conflits, des terrains de crise, et petit à petit on s’affirme et on retrouve les vraies valeurs qui vont vous conduire à donner le meilleur et l’essentiel pour ne pas passer à côté. Car après tout, des reportages faits par des hommes ou faits par des femmes, finalement, il ne doit pas y avoir de différences, c’est simplement la personnalité qui fait le bon reportage.

Pour faire valider mes projets, mes idées, mes objectifs, parfois cela a été un peu plus difficile en tant que femme. Moi j’avais l’envie, mais surtout la nécessité, le devoir presque, d’aller sur le terrain parce que l’information m’appelait. Par exemple, quand j’ai voulu aller au Rwanda et on m’a dit : « oui, mais tu nous écris tout ton projet ». J’ai répondu non. Mon métier, c’est justement d’aller là où je ne sais pas, de trouver ce que personne d’entre nous ne sait et que l’on va pouvoir trouver et que l’on va pouvoir vous expliquer. C’est raconter la petite histoire pour la plus grande Histoire. Mais c’est vrai que ça m’a peut-être pris un peu plus de temps. A 20 ans, 25 ans, on a une attitude, puis peut-être qu’après, on met les choses au clair plus rapidement. 

J’avais fait 25 ans de reportage sur le terrain et je trouvais cela très intéressant d’être responsable d’un journal, d’une édition. Donc j’ai visé le Journal de 20 heures (après tout, pourquoi pas !). Ce n’était pas la présentation, ce n’était pas être dans la lumière, au contraire, c’était être la personne qui travaillait avec la présentatrice (en l’occurrence c’était une femme). Je suis allée voir ma patronne, la directrice de l’information (c’était une femme en plus, mais cela ne m’a pas aidé). Je pensais que j’avais toute la légitimité pour avoir ce poste, parce que j’avais rempli les cases. J’étais allée sur le terrain, j’avais encadré des équipes, j’avais touché un petit peu à tout ce que l’on peut savoir et que l’on doit savoir pour tirer avec soi une équipe pour faire le Journal du 20 heures. J’ai eu quand même l’impression d’arracher ce poste. Une fois que j’y ai été, cela s’est très bien passé, jusqu’à un incident, mais beaucoup plus tard. Je me suis toujours dit que c’est quand même incroyable d’avoir tant lutté pour avoir cette place. J’avais envie de faire cela, parce qu’il me semblait que je pouvais tenir au 20 heures avec la présentatrice, c’était un challenge et quelque chose d’intéressant. On allait chercher des idées assez différentes, un peu plus proches de la population, on était dans cette réflexion. 

Je trouve que le sens de l’enthousiasme, c’est aussi le sens de la responsabilité. Je repense, à un moment où l’on devait aller dans un endroit vraiment dangereux, difficile, et j’ai émis quelques doutes tout en me disant que l’on allait pouvoir atteindre cet objectif. C’était l’endroit où il y avait les Bouddhas de Bâmiyân qui ont tous été massacrés par les talibans. C’était pour retrouver ce qui s’y passait, mais c’était très compliqué d’y aller. En fait, je n’aurais jamais dû émettre des doutes, j’aurais dû dire « on y va ». Je travaillais avec une équipe, c’est la télévision, donc, ils se sont embarqués dans mes doutes et j’ai dû passer encore deux heures pour surmonter cela. J’ai perdu du temps. Après, j’ai compris que les doutes ou en tout cas, les interrogations, parce qu’il faut avoir des doutes quand on est journaliste, mais ces doutes-là, il fallait que je les garde pour moi. Il ne fallait pas que je les partage. 

Dans mon métier, j’ai su ce que c’est que d’être collective, j’ai su ce que c’est d’avoir des collègues en danger et d’aller les chercher. Je n’ai pas vu forcément la même solidarité avec des collègues masculins. Je sais ce que c’est que d’être humble, mais aussi de savoir réagir très rapidement sur certaines situations. Je pense qu’effectivement, sur les temps de crise, nous les femmes, on est fortes.

J’enseigne à des jeunes ce superbe métier de journaliste. Je fais attention de leur dire : « vous pouvez tout, vous pouvez y arriver et vous aurez des échecs, on vous fermera la porte, ça ne marchera pas, mais ça ne veut pas dire que vous n’êtes pas un journaliste. Ça ne remet pas en cause cette espèce de passion que vous nourrissez, mais il faut avoir faim ».

Il faut se comprendre soi-même pour pouvoir s’affirmer. Donc il y a déjà un pas à franchir qui est important. Ensuite, s’affirmer c’est effectivement un challenge. J’évolue dans un monde d’hommes, (pourtant je suis dans un monde artistique, des produits pour les artistes). Les managers ne sont que des hommes, sauf à des fonctions type marketing, commercial ou communication. Donc, on ne nous attend pas et on ne va pas nous chercher en tant que femmes. Oser prendre la parole pour aller chercher sa responsabilité, c’est extrêmement dur. 

Il faut vraiment oser. C’est cela la problématique. Dans les valeurs transmises dans le monde éducationnel, il y a encore si souvent de mauvais propos qui font que nous avons du mal, les jeunes femmes aujourd’hui (et encore, … moins de mal que nous et que nos mères, mais cela perdure). J’ai une fille de 23 ans, je la force à prendre la parole et à s’affirmer. 

Un jour j’étais dans un Conseil d’administration d’une association syndicale professionnelle, il n’y avait que des hommes. Le Président de la séance dit « bonjour Messieurs ». Là j’ai dit : « Messieurs et Madame ». Cela a fait rire tout le monde et j’ai pris ma place.

Nous avons un côté un peu atypique en tant que femmes dans notre façon de voir notre relation à l’entreprise et à l’environnement. Dans le milieu artistique (je côtoie des artistes pour comprendre ce qu’ils font de mes produits) il y a aussi un problème de reconnaissance féminine. Les artistes féminines ont généralement plus de mal en peinture et en sculpture. Mais disons que la particularité féminine est normale, parce que là, c’est l’expression de soi, donc on le vit bien. 

Isabelle Bové

Isabelle Bové

Dans le monde de l’entreprise, cela reste du formatage et on attend de nous les femmes que l’on reste dans des rails. Il y a un côté mimétisme aussi. Si eux agissent de cette façon, qu’est-ce que je fais ? Si je suis trop différente, est-ce que je m’affirme ? Les fois où j’ai pu oser, effectivement, j’ai bien vu que je gênais. Et cela, c’est compliqué à dépasser. 

C’est plus facile pour les femmes de réussir en temps de crise parce qu’on est tombées et qu’on a dû faire face à beaucoup de murs. Face à la crise, nous sommes beaucoup plus réactives à l’attaque. On a appris à aller chercher les ressources dans les gens qui nous entoure. On est davantage conscientes que l’on fait partie de systèmes, que les systèmes interfèrent tous et que l’on ne peut pas faire sans les autres. J’ai l’impression que les hommes sont un peu plus individualistes (ce sont des clichés, mais j’en ai côtoyé quand même quelques-uns !). 

Ce qui fait peur aux hommes ? On va proposer peut-être davantage de solutions atypiques d’organisation, de réflexion, de modes de travail transverses et ils ne sont pas adaptés ni habitués. Parce que cela a été un peu plus facile pour eux dès l’enfance. Donc on les dérange, on les perturbe. Il y a ceux qui aiment cela et qui vont avoir un côté un peu plus « féminin », au sens d’une sensibilité, d’une ouverture d’esprit et d’une expérience qui permet de faire autrement. Mais j’ai le sentiment que les organisations ne savent pas vraiment quoi en faire. 

Si on change le dirigeant d’une entreprise, d’une entité, que l’on mette un homme ou une femme, si en interne personne ne le soutient et adhère à son nouveau projet, il n’a aucune chance de réussite. C’est tout aussi vrai quand on est une femme Premier ministre ou en dirigeante d’une grande dans un moment de bouleversement et de transformation fort.

Chloé Clair

Chloé Clair

J’ai toujours gardé ma personnalité. Comme j’étais dans un monde d’hommes, au début dans le BTP et maintenant dans la Tech, cela m’aide à voir la différence, donc c’était une force. Par contre, ce que je n’ai pas osé assez vite, c’était de sortir de ce à quoi on s’attendait pour moi, de la bonne élève. J’ai commencé bonne élève, avec un parcours bien carré, bien droit, là où l’on s’attendait à ce que je devais être. 

On m’a beaucoup demandé comment avais-je une telle confiance en réunion. Il m’est arrivé de diriger des réunions où j’étais directrice technique, avec une vingtaine de personnes, en général des hommes. Au début j’étais un peu dans mes petits souliers, parce qu’ils étaient souvent plus âgés que moi. Assez vite j’ai compris que si je ne prenais pas ma place au début, dans les cinq premières minutes, je n’aurais pas cette place-là. J’arrivais, je m’asseyais à la place de la « Présidente », mais je ne les dirigeais pas, je les coordonnais. Je disais, bonjour, on va faire ça, il faut que l’on sorte avec tel livrable, etc. hop ! on y va ! Lorsque je voyais un récalcitrant, je lui posais une question hyper technique sur ce qu’il avait dit, question si possible intelligente, et là, il se mettait en valeur et il se disait « cette femme a tout compris ». En fait, j’allais chercher celui qui n’était pas de mon côté et en le mettant en valeur. Cela a très bien fonctionné. À partir du moment où j’ai compris ce petit truc, c’était hyper simple.

Je le dis à toutes les femmes que je rencontre. Prenez votre place dès le départ. Après c’est simple, parce que les gens vous donnent cette place-là. Ils vont vous écouter parce qu’il faut quelqu’un pour gérer la réunion. Par contre, si vous hésitez à le faire, ils vont se demander ce que vous faites.

Dans l’éducation, on enseigne aux filles l’humilité et aux garçons à prendre leur place. Je trouvais que c’était bien plus poli d’être plus calme, de ne pas prendre cette place. J’ai dû lutter contre ma propre nature. Pourtant ma mère ne m’a pas dit « il faut être humble ». C’est culturel aussi, je pense. Cela va au-delà du genre.

Quand j’ai compris ce qu’était le syndrome de l’imposteur, je me suis dite «c’est moi ! ». Pourtant les gens qui me côtoient tous les jours me disent : « toi tu as tellement confiance en toi, c’est vraiment une grosse force ». Je me suis rendue compte que je doutais. Parce que j’étais trop jeune sur un poste. Parce que je viens du BTP et que je prends un poste dans la Tech. Est-ce que j’étais légitime ou pas ?…

Il y a un Ted Talk sur « Fake it untill you make it ». Il m’a révélé que ce que je faisais déjà, et que je continue à faire. Il suffit de se mettre dans cette posture de confiance pour se dire qu’on va y arriver. Alors on n’écoute pas la petite voix à l’intérieur de nous qui dit « mais qu’est-ce que tu fais là ?! ». Et on y arrive. C’est un message que je passe aux jeunes filles. Oui, tu n’as pas confiance en toi, tu doutes. Tant pis ! Vas-y quand même !  « Fake it untill you make it » et tu verras ça marche. 

On me demande souvent si je suis sûre de mon business model et de mes chiffres dans cinq ans. La première fois j’ai dit : « évidemment que non ! ». Mes investisseurs ont interprété cela en pensant que je n’étais pas sûre de mes chiffres. Cela m’a servi de leçon. Mes doutes, je les exprime maintenant dans un cercle restreint et intimiste.

Tout le long de ma carrière, j’ai oscillé entre être la collaboratrice que l’on attend que vous soyez et transmettre ma personnalité, qui est probablement une partie de ma force dans ma performance. C’est vraiment un équilibre pas évident à trouver. La ligne de conduite que j’ai toujours eue, c’est de transmettre ma personnalité parce que je pense que c’est ce qui peut faire la différence. Ce n’est pas toujours facile et cela peut m’emmener à me mettre en danger. 

En France, on est plutôt à combler des faiblesses plutôt que de valoriser des forces. Et nous les femmes, on a probablement quelque chose à montrer en ce moment sur cette capacité à valoriser nos forces. Culturellement en France, on va surtout regarder ce que l’on ne sait pas faire. 

Il y a une question de maturité. A 25 ans, c’est important de travailler sur ses points d’amélioration. Mais à des âges un peu plus matures, je trouve que c’est extrêmement important de pouvoir valoriser ses assets. D’où tout l’intérêt des programmes de mentoring ou d’encadrement de jeunes femmes qui se posent ces questions et qui hésitent. Il faut leur expliquer et leur montrer en quoi il y a une vraie valeur ajoutée à aller défendre son alignement personnel, sa personnalité, ses forces. Que cette diversité, cette différence, va pouvoir faire émerger une certaine forme de performance.

Natacha Hochet-Raab

Natacha Hochet-Raab

J’ai la chance d’être dans un univers très international, qui alimente beaucoup cette diversité culturelle au sein des entreprises. On est assez focussé sur des cases en France, d’où la force du diplôme (quand on en vient à vous demander votre diplôme à 50 ans, cela n’existe dans aucun autre pays …). A nous aussi de porter une parole différente et de montrer que ce chemin se fait. Je reste optimiste. Je pense qu’il y a tout de même de grandes améliorations. Le fait que l’on ait plus de femmes mises en lumière et au pouvoir permettra probablement (et permet déjà) d’avoir un éclairage un petit peu différent sur la situation. 

En ce qui me concerne, j’étais toujours convaincue que je pouvais prendre le poste suivant. J’avais cette espèce de confiance en moi. Après, il y a l’histoire du timing. C’est-à-dire à quel moment vous formalisez officiellement le fait que vous souhaitez évoluer ou changer de périmètre (ce n’est pas forcément une évolution hiérarchique). C’est beaucoup plus difficile. C’est là que l’autocensure a été plus importante pour moi, peut-être que je ne me suis pas autorisée à exprimer clairement mon ambition à un certain moment, alors que je me sentais totalement prête. Je me disais qu’il me fallait attendre le bon moment. Un peu le syndrome de la bonne élève, en me disant « quand même c’est peut-être un peu rapide » ou « je vais attendre que l’environnement évolue davantage, être sûre que tout l’écosystème soit prêt ». Là où probablement un homme y serait allé directement et ne se serait pas bridé. Ce n’est pas complètement douter de soi. C’est aussi douter du moment, ou ne pas se donner complètement la capacité à exprimer exactement ce que l’on ressent.

L’enjeu est que l’on arrive à ne pas être dans cette autocensure. On ne va pas blâmer l’organisation. Chacun est libre de faire ce qu’il veut. Il y a peut-être certains biais mais je ne suis pas trop pour les généralités par rapport au monde de l’entreprise. Je pense que chaque entreprise est incarnée aussi par un dirigeant et j’ai eu la chance de connaître des dirigeants qui étaient très ouverts à la diversité, qui étaient pour la promotion des femmes comme d’autres nationalités ou de différents âges, etc. 

En revanche, nous les femmes, il faut que l’on ait coché 80 % des cases (les fameuses cases !) pour pouvoir prétendre au poste suivant, là où les hommes sont à 30 % et où ils ouvrent la porte en disant « je suis l’homme de la situation, merci ». Donc, oui, il y a encore un grand travail à faire là-dessus. Je pense que le fait d’en parler est déjà très important. Ensuite, étant une personne aussi assez rationnelle, je pense qu’il y a la démonstration par exemple. Et nous avons heureusement de beaux exemples qu’il faut mettre en lumière. 

Il faut travailler les biais le plus tôt possible. Dans une classe de terminale où il y a 50 % de filles, 50 % de garçons, les filles sont généralement en tête de classe, bonnes élèves, très disciplinées. Très vite, il y a l’autocensure des études supérieures, en particulier scientifiques. Alors qu’il y a aujourd’hui un appel important pour avoir des filles dans les filières scientifiques. Mais on n’a pas le volume. On n’a pas préparé le terrain suffisamment. Il faut vraiment prendre la chose très tôt, d’autant plus qu’en France, aujourd’hui, on doit choisir son « parcours » à 14 ou 15 ans. Il y a un vrai travail pour toute une filière…

Le syndrome de Wonder Woman me fait très peur. Les réseaux sociaux alimentent beaucoup cela. On nous montre que la face séductrice qui va susciter l’admiration. Je m’érige en faux sur le côté Wonder Woman « tu as l’air d’avoir confiance en toi, et ta carrière, c’est génial ! ». Non, en fait. Je suis fatiguée, c’est difficile. Il y a des jours avec et des jours sans. Je me suis battue pour avoir tout ce que j’ai. Rien n’est gratuit. Tout est de l’effort. Il faut accepter cette vulnérabilité. L’apprentissage des échecs est indispensable. C’est vraiment une courbe et une leçon d’évolution. C’est bien pour cela que l’on enlève les barreaux des lits des enfants, parce qu’ils vont escalader, ils vont tomber et ils sont prêts. C’est la réalité, c’est la vie. 

Il y a une notion qui m’est très chère, c’est l’alignement. Certaines jeunes femmes peuvent avoir des difficultés parce que ça ne vient pas tout de suite. C’est une question de maturité et d’histoire de vie. A partir du moment où l’on a compris ce que l’on pouvait apporter et quelles sont les valeurs qui nous animent personnellement, on peut donner le meilleur de soi-même sans trahir sa personnalité. Ce n’est pas simple. C’est un vrai projet de vie.

Il faut revenir à cette importance de la parité, en se disant que l’on co-construit ensemble. Je crois beaucoup à l’intelligence situationnelle et émotionnelle des femmes, par nature, peut-être que cela fait partie de quelques généralités auxquelles je crois le plus. Du coup, c’est plus en s’associant avec les profils différents et en créant cette diversité qu’à mon avis on arrivera à juguler les périodes de crise. Il faut réfléchir différemment et pour réfléchir différemment, il faut des profils différents et de facto, comme il n’y a pas assez de femmes aujourd’hui, oui, il faut développer et favoriser l’accession aux postes de décision pour les femmes. Mais je ne sais pas si c’est vraiment genré, en fait.

Anilore Banon

Anilore Banon

Pour moi, c’est un peu logique de garder ma personnalité. En tant qu’artiste sculptrice, elle fait partie de mon travail, de mon âme et de mon être. Mais en même temps, je travaille dans du monumental et souvent avec beaucoup de technologies. J’ai en face de moi des usines, des chantiers navals, des ingénieurs, etc. Etonnamment en ce qui concerne le monde de l’usine et de l’entreprise, j’ai rarement eu des soucis à être exactement comme je suis. 

Mais j’ai aussi rencontré des difficultés. J’ai en mémoire un rendez-vous dans une grande banque  avec un financier à qui je racontais mon projet Les Braves avant que mes sculptures soient installées sur la plage du débarquement en Normandie pour obtenir un financement. Le fait d’être une femme rousse à cheveux longs, pour mettre 20 tonnes de sculptures sur une plage, pour lui il y avait un biais qui était évident : je ne pouvais pas savoir de quoi je parlais. Je n’avais probablement pas réfléchi à la problématique. Cela s’est réglé assez rapidement après. Sur la plage du débarquement, c’est extrêmement complexe parce nous avons de grandes marées. Il faut faire tout un travail de fondations et je n’ai pas tout à fait le profil physiquement. C’est un pas de plus à faire.

Artistiquement le doute est permanent. C’est quelque chose qui est un peu inné. En ce qui concerne le rapport à l’autre ou à un projet, où on a autour de la table beaucoup de différentes entreprises, le doute me semble compliqué. Parce que si l’on montre du doute, on ne peut pas entraîner. Pour mes projets, il y a un phénomène d’entraînement. Pour que les gens croient à cet enthousiasme, il faut que je le partage. Il faut que cela devienne leur projet. S’ils sentent que j’hésite, il y a un passage de témoin qui ne se fait pas, et tout le monde ne donnera pas tout ce qu’il a à donner. Il n’y a qu’ensemble que l’on arrivera à réaliser ce projet. 

Je dois faire rêver et être très concrète, parce qu’il y a le rêve et après la réalisation, la technique. Et là, c’est absolument imparable, il faut que tout soit parfait. Donc c’est un équilibre. 

La culture de l’échec, c’est vraiment quelque chose sur lequel les Anglo-saxons sont plus à l’aise que nous. Ce qu’ils appellent l’expérience, nous, en France, on l’appelle l’échec. On pourrait demander à Elon Musk quand il a cassé trois fusées pourquoi il ne s’est pas arrêté (surtout à 50 millions de dollars l’une !). A la quatrième, cela a fonctionné. Il a appris des trois précédentes cassées. Si l’on n’apprend pas cela aux jeunes, c’est compliqué après, parce que cela les fige complètement. L’échec est une étape essentielle pour pouvoir aller plus haut.