Témoignages EPISODE 5 Et maintenant, on fait quoi pour encourager les femmes à avoir envie de diriger

Vanessa Desterbecq

Vanessa Desterbecq

Ce sont deux choses assez différentes la singularité et le côté atypique. Pour moi, la singularité, c’est un petit plus que l’on a. C’est la petite case que vous mettez dans votre CV, mes plus ou mes atouts. Alors que côté atypique, cela fait davantage écho à des codes qui sont cassés. Peut-être à une norme sociale que l’on met face à un poste, à un secteur d’activité, une valeur, quelque chose que l’on porte, et quand on est atypique, c’est que l’on va vraiment à l’encontre de cela. 

Lorsque j’ai face à moi un candidat ou un client singulier et/ou atypique, pour moi, c’est un bonheur parce que je pense que c’est vraiment quelqu’un qui a besoin d’être vu dans sa singularité, dans sa complétude. C’est quelqu’un qui va véritablement avoir besoin d’un regard extérieur pour aussi prendre confiance en lui et l’on reboucle sur la confiance dans le cadre d’un parcours professionnel. Se sentir singulier, se sentir atypique cela peut être une vraie force, et c’est très souvent, à mon sens, pointé du doigt, on en revient sur la norme, comme quelque chose de pas codifié, qui ne rendre pas dans une case, et c’est dommage.

On se l’autorise parce qu’on nous laisse cet espace-là, et parce que nous aussi nous nous laissons cet espace. Ce dont je me rends compte, c’est que cette singularité affirmée d’une femme, c’est aussi parce qu’à un moment, elle a tapé du poing sur la table. Effectivement, je pense que c’est assez générationnel, à un moment, de s’être dit, nous aussi nous avons le droit de vouloir une carrière, de vouloir faire comme nous on a envie de faire, selon nos valeurs. Et si on fait le lien aussi avec la place de la femme dans la société, celle que l’on a envie de nous donner, on nous vend encore beaucoup trop souvent comme une mère avant tout, alors que nous avons une tête, nous travaillons, nous avons des loisirs. On est mère ou pas, d’ailleurs. Tout cela nous permet d’affirmer notre singularité.

Dans une carrière, pour moi, il y a une montée, et une fois que tu es en haut, tu te connais, tu sais où tu as envie d’aller a priori, tu as suffisamment vécu pour avoir un recul professionnel, tes enfants sont grands donc tu as moins ce poids de maman, si ce n’est de jeune maman sur les épaules. C’est vraiment l’image que j’ai, tu es au top de ta carrière et du coup, tu as un boulevard face à toi, c’est le début de la suite. 

Les femmes et l’argent est un sujet assez culturel, en fait. Pour avoir travaillé pour des clients qui sont des sociétés françaises et pour des clients qui sont des sociétés avec une culture anglo-saxonne notamment, je me rends compte qu’en France, nous avons quand même encore un problème avec l’argent. En qualité d’entrepreneur, je n’ai pas du tout de difficulté à parler d’argent. Je pense même que c’est hyper sain, parce qu’une fois que l’on a évoqué le sujet de l’argent cela facilite un certain nombre de sujets plus ou moins difficiles. Par contre, je me rends compte que dans des sociétés avec une culture anglo- saxonne, c’est encore plus facile de parler d’argent, encore plus facile de dire que l’on a envie de gagner de l’argent, que c’est important pour nous de gagner de l’argent. Sur le rapport de la femme à l’argent, si on le rapproche, c’est beaucoup plus une question de valeur. Est-ce que je vaux cet argent ? Alors que pour l’homme, à mon sens, c’est plutôt une question de pouvoir. Si je gagne tant, c’est parce que je détiens le pouvoir, où je pèse tant dans la structure ou sur l’échiquier national. Je pense qu’il a un côté culturel derrière cela.

Je le vois effectivement dans mes entretiens quand je reçois une femme ou un homme qu’ils soient notaires salariés ou notaires associés, on me demande souvent de l’appui par rapport à une négociation salariale, et souvent ce sont des femmes. Est-ce que vous pouvez m’aider dans le cadre de la négociation ? Qu’est-ce que je peux demander ? Qu’est-ce que je ne peux pas demander ? 

 

Quand on a confiance en soi, ou en tout cas, à titre personnel, quand je sens que j’ai confiance en moi, j’ai l’impression de pouvoir déplacer des montagnes réellement. Alors, même si c’est mon prisme par rapport à moi-même, je me vois toute seule bouger ma petite montagne… et je suis hyper fière de cela. Je suis intimement persuadée que la confiance en soi est déjà un premier pas qui permet de reprendre sa carrière en main, de se reprendre en main, ou en tout cas, de se poser les questions pour aller là, où l’on a envie d’aller.

Cela fait 20 ans que je travaille, mais je suis heureuse aujourd’hui de faire quelque chose qui me plaît. En revanche, peut-être pour éviter de reprendre en main ma carrière à un moment, j’ai l’impression d’avoir constitué une équipe un peu comme une team qui me soutient, comme si j’étais une athlète et que j’avais besoin du back-office. Donc je suis accompagnée par une life coach depuis quelques années déjà, c’est un concept que j’ai connu aux États-Unis, il y a maintenant dix ans, qui était peut-être moins répandu en France à cette époque. C’est une coach de vie qui m’accompagne à la base côté professionnel, mais finalement on déborde aussi sur le personnel. Elle est spécialisée sur l’accompagnement de personnes qui sont expatriées, c’est dans ce cadre-là (mon expatriation aux Etats-Unis) que j’en ai ressenti le besoin. J’ai une thérapeute aussi, j’ai fait appel à plusieurs disciplines qui m’ont aidé à traverser des moments compliqués dans la vie professionnelle et parfois personnelle et qui font qu’aujourd’hui j’ai besoin d’avoir une team avec moi, ce qui est rassurant aussi. 

La différenciation dans le domaine de l’entreprise se traduit parfois par l’impression de ne pas être à la bonne place, ou dans un groupe homogène, d’être un peu la brebis noire ou la personne que l’on remarque. Je l’ai ressenti en travaillant beaucoup pour l’industrie notamment quand on est la seule femme qui est dans une réunion par exemple, et que l’on prend la parole. J’ai ressenti ce genre de situations qui parfois peuvent mettre mal à l’aise, de se sentir singulière voire atypique. C’est pour cela aussi à la suite de ce type de situation que j’ai eu besoin de m’engager pour des femmes pour qu’elles se sentent justement plus armées pour faire face à ce regard parfois.

Bérangère Ferrier

Bérangère Ferrier

En management, par exemple, j’applique le principe de faire en sorte que la personne, peu importe son profil, puisse donner le meilleur d’elle- même. Je travaille avec une équipe qui n’est pas du tout salariée, ce sont des indépendants et l’on fonctionne en mode projet, donc j’ai sans arrêt des personnes différentes. Mais un pool d’experts qui restent là depuis quasiment dix ans parfois. Faire en sorte que chacun puisse apporter le meilleur de lui-m ême avec un profil qui ne correspond pas forcément à ce que l’on attendrait, je trouve que c’est cela qui est assez magique en management. Moi je recrute sans CV. Cela m’est bien égal de faire travailler quelqu’un, qui à la base, n’était pas fait pour être project manager, par exemple, au contraire. En ce moment je fais travailler un ancien militaire. Après 20 ans de carrière, convertie déjà deux fois, c’est un des meilleurs project manager que je n’ai jamais eu. Donc on en revient à des profils atypiques ou même à la singularité, je trouve que cela a énormément de richesse aujourd’hui. 

Concernant les femmes et l’argent, je pense que cela dépend des personnes, de l’éducation, de l’environnement. De mon côté, je n’ai pas de problème à en parler librement avec mon conjoint, avec mes amis ou la famille. Je m’étais donné comme objectif en m’expatriant à l’époque de déjà monter ma boîte et de gagner autant que ce que je gagnais en tant que salariée. Puis, l’année suivante, de gagner autant que mon mari qui gagnait le double de moi. J’étais salariée aux États-Unis donc les salaires sont quand même supérieurs. C’était un objectif pour moi de le dépasser et de ne pas être en retard, surtout qu’il avait deux ans de moins que moi, donc, il n’y a pas de raison qu’il gagne plus ! Je pense que ce n’est pas tabou et on en parle assez librement entre nous dans notre couple, mais cela dépend peut-être des situations. Puis je suis entrepreneuse aussi, donc c’est peut-être différent. 

Moi, j’ai eu la chance de faire partie quand j’étais à Lyon de la Jeune chambre économique que l’on appelle les JCE. C’est un mouvement américain apolitique, areligieux, qui a pour but de former les leaders de demain. L’idée, c’est de développer les projets pour améliorer la vie dans sa cité, de se former, de devenir formateur. Nous sommes tous d’horizons différents, entre 20 et 40 ans, et le but c’est vraiment de développer son leadership. Donc, j’ai eu cette conviction assez rapidement finalement dans ma vie professionnelle que l’on pouvait tous devenir Président de notre Jeune chambre, faire partie du bureau, lancer une nouvelle équipe, un nouveau projet. Développer son leadership a fait partie – c’est une chance pour moi – des compétences que j’ai pu développer en début de carrière. Donc pour moi, c’est vraiment non genré. Je pense que l’on peut être un très bon leader ou une très bonne leadeuse, mais effectivement, les attentes en face ne sont pas forcément maîtrisables.

J’ai la chance de parrainer une promotion de BTS 2e année pour la première fois. Dans les conseils que je leur ai donnés, c’était d’oser, de se planter et de recommencer, mais d’oser. Je leur ai cité l’exemple : moi, je me suis expatriée alors que j’avais la phobie de l’avion. J’ai dépassé ma peur. Je joue de la guitare, seule dans mon coin, j’ai fini chanteuse de Punk puis de Métal. Je me suis lancée, j’ai pris des cours de chant, j’y suis allée, j’étais front man, enfin front woman d’ailleurs. Alors que franchement ce n’était pas gagné, surtout avec la voix que j’aie. Comme quoi, il ne faut pas se laisser limiter par ses peurs. Je trouve que c’est un message assez fort qui permet de casser quelques barrières.

Corinne Hardy

Corinne Hardy

Je trouve que la singularité a une notion très positive. Pour moi, une singularité, c’est quand on a un trait de caractère qui ressort et qui fait que l’on a une spécificité qui est un peu exceptionnelle. Tandis que le fait d’être atypique, cela me renvoie plus à une notion dont cette personne-là ne correspond pas au stéréotype que l’on a. Mais pour moi, c’est un mot qui a moins de force. 

Je pense que dans les années 80, les femmes ont vraiment fait tout leur possible pour se couler dans le moule, montrer qu’elles le valaient bien. Je trouve que là, maintenant, comme on accepte un peu plus les singularités, les différences, on perçoit peut-être plus et on s’autorise plus à être singulières ou différentes que ce que l’on s’autorisait il y a quelques années. 

On vit énormément par ce que l’on appelle le phénomène du opt-in out, c’est-à-dire qu’il y a une démission en masse des femmes au-delà de 50 ans, parce qu’elles sont un peu trop laissées sur le côté de la route. Alors que dans le même temps, effectivement, il y a un décalage entre les aspirations de singularité d’être soi-même et ce que les sociétés autorisent. C’est un phénomène qui a une grande ampleur et qui, à mon avis, est sous-estimé. 

Mais pourquoi penser que l’on au summum à 35 ans ou à 45 ans ? Justement c’est pour cela qu’il y a plein de femmes qui se mettent en retrait. Il y a plein de femmes qui partent, parce qu’il y a cette image que l’on est au summum à 45 ans, puis il y a 50 ans. Puis, passé 55 ans, alors là, c’est fini.

Je pense que l’argent est encore tabou chez les femmes en 2023. Les femmes qui sortent d’école d’ingénieurs demandent 10 % à 15% de salaire de moins que les hommes. C’est mesuré, c’est un fait. Les femmes demandent moins d’augmentations. Je pense que ce n’est pas tant la quantité d’argent, mais peut-être une certaine réticence à ce que l’argent reconnaisse la valeur. Je ne pense pas forcément que ce soit, bien évidemment lorsque l’on a les moyens de vivre décemment, le fait de gagner plus d’argent, mais l’argent est un outil de comparaison et un outil de reconnaissance. Je pense qu’il y a encore une certaine réticence à accepter, pour certaines femmes, le fait que l’on vaut cette quantité d’argent, plus que le fait d’avoir 200 euros de plus, etc. Je pense que c’est le symbolisme de l’argent qui est tabou. Parce que l’argent dans notre société, qu’on le veuille ou pas, c’est un marqueur social de reconnaissance et de comparaison. 

On demande beaucoup plus à une femme, en termes de leadership, par exemple, sur le côté managérial. Je raconte souvent l’histoire de cette fabuleuse étude qui a été faite aux États-Unis, qui a pris les entretiens annuels des hommes et des femmes sur des milliers de salariés. On a regardé ce que nous avons demandé aux hommes dans leur entretien annuel, dans 70 % des cas, c’était : est-ce qu’ils ont atteint leur objectif ? Vous allez me dire, c’est normal, c’est un entretien annuel. Tu as lancé ton produit, quel est ton chiffre de vente, etc. ? Ensuite, ils ont pris le paquet des entretiens annuels faits avec les femmes managers, et 70 % du contenu, c’était : tu es trop timide, tu es trop ci et trop cela, etc. 

En fait, il y a une attente de la posture managériale des hommes et des femmes qui est différente. C’est vrai que c’est consciemment ou inconsciemment, on se conforte un petit plus à ce modèle de leadership féminin et masculin, qui ne devrait pas exister.

 

Si je peux également partager quelque chose à titre personnel, passer une époque, c’était presque une étude scientifique, j’avais sept personnes en France et sept personnes aux États-Unis. Aux États-Unis j’avais une équipe mixte ; en France, je n’avais que des femmes. Et la manageuse qui était avant moi, ils l’appelaient maman. En fait, on attendait cela de ma posture managériale, et la première fois que j’ai eu une de mes collaboratrices en entretien, elle m’a parlé de tous les moyens de contraception qu’elle avait utilisés dans sa vie. Donc elles attendaient, en termes de posture managériale, une posture qui était très différente, et si je peux m’exprimer ainsi, mon groupe témoin aux États-Unis, hommes et femmes, ça se passait très différemment. 

Donc, je pense qu’il y a une attente de la posture managériale des hommes et des femmes qui est assez différente. Du coup, essayons de sortir justement de ce modèle. Il n’y a pas de leadership différent. Par contre, je pense que le modèle de leadership que l’on a, malheureusement on attend encore quelque chose d’un peu différent en termes de posture de leadership. Essayons de faire en sorte que les modèles se rapprochent.

Je pensais « il faut que j’aie confiance en moi pour y aller ». Et un jour, il y a une phrase d’un sportif de haut niveau qui m’a vraiment marqué, qui est de dire : « moi, ce que je recherche ce n’est pas d’avoir confiance, c’est de dépasser mon manque de confiance ou ma peur ». C’est-à-dire que si j’ai une falaise à escalader ou une course à faire, non, je n’ai pas confiance, oui, j’ai peur. Et quelque part, cette phrase me trotte dans la tête et renverse un peu ma notion, est-ce qu’il faut vraiment avoir confiance pour y aller ? Eh bien, non, finalement. Je pense que les femmes attendent trop d’avoir confiance pour y aller.

Pour moi, – je l’ai compris assez tardivement – être singulier ce n’est pas être différent, c’est être soi-même. Avant de cocher toutes les cases de l’establishment, c’est de cocher les cases que l’on a envie de cocher soi- même. C’est-à-dire, qu’est-ce qui me rend heureuse dans ma vie ? Qu’est-ce qui fait que je suis posée dans mon intention ? Qu’est-ce qui fait que je suis ancrée et que je suis alignée avec mes valeurs ? 

Après effectivement, si l’on est atypique, moi, je sais que j’ai un fils par exemple, qui est très atypique, qui a du mal à trouver justement sa place dans la société normée parce qu’il a du mal à s’aligner avec le règlement, avec les horaires, etc., à côté de cela c’est un jeune garçon – je ne le dis pas parce que c’est mon fils – qui a une très grande richesse intellectuelle, créative, etc. Mais effectivement, il m’a fallu beaucoup de temps d’imaginer qu’avant d’être singulier, il était atypique. Aujourd’hui, on arrive à renverser les choses, en disant, ma singularité c’est que je ne sais pas être à l’heure le matin, mais en revanche, je suis hyper créatif sur tel et tel truc et mon taux de productivité là-dessus est très bon. 

Je pense que c’est important pour les femmes justement de travailler cette singularité, nous avons tellement été toutes élevées – peut-être que je rationalise à mon exemple – dans une norme. Je sais que j’ai passé 25 ans, 30 ans de ma vie dans de grands groupes auprès de Présidents extrêmement exigeants, effectivement, chaque jour c’était un alignement avec tout un tas de choses, jusqu’au jour où cela a craqué, parce que je n’étais plus alignée avec mes valeurs, parce que la pression me semblait démesurée par rapport à l’attente, que le caprice avait pris le pas sur la raison. Et là, je me suis dit, je suis bien dans ma singularité où je n’ai pas envie d’accepter cela.

Isabelle Million

Isabelle Million

Je suis très engagée aussi dans la défense des droits des femmes au sens large du terme que ce soit pro ou perso, au travers de plusieurs réseaux, dont International Women’s Forum, où on nous nous sommes rencontrées avec Sandrine Godefroy-Evangelista. Dans mon groupe de rattachement, la SNCF, j’anime un groupe de 45 ans et plus. Puisqu’ayant passée la date fatidique de la séniorité, c’est-à-dire plus que 45, je me suis rendue compte qu’effectivement, autant on était venu me chercher entre 35 et 45 ans, mais à partir du moment où j’ai commencé à décocher la case du soi-disant dynamisme, alors que ce n’était pas vrai, de la soi-disant créativité, alors que ce n’était pas vrai, les hommes ont décoché pour moi un certain nombre de cases et on fait de moi quelqu’un de ringard, de has-been.  

En observant ce groupe de femmes de 45+, je me suis rendue compte que la catégorie socio- professionnelle jouait un grand rôle. C’est-à-dire que celles qui est au sein de ce groupe avaient coché la case de la qualification cadre, voire cadre supérieur. Il faut savoir que dans un groupe comme la SNCF, j’imagine que c’est comme chez toi, il y a 160 000 salariés en France, il y a 1 200 cadres supérieurs et il y a 120 femmes. Donc cela donne une idée du volume. Parmi ces 120 femmes, elles ont toutes été au charbon, mais avec des moyens parce qu’elles s’étaient équipées dans leur singularité, parce que pour certaines leurs atypismes, elles ont joué avec, parce que derrière elles avaient des familles ou des conjoints qui permettaient malgré 2, 3 ou 4 enfants d’être là, le week-end, d’être là le soir, etc. Et nous en avons fait de ces femmes rôles modèles de référence dans l’entreprise. 

Mais quand on gratte tout cela, ce que je suis en train de faire au sein de ce groupe de travail, on s’aperçoit que celles qui ont des qualifications en dessous de cadre n’ont absolument pas les moyens de le faire. Et nous avons un vrai système de confrontation dans ce groupe de travail, encore une fois, entre la femme cadre qui aborde la quarantaine en se disant « hou, là, là, cela ne va pas tarder à me tomber dessus cette histoire, donc j’accumule le maximum de points pour être le plus bancable possible et ils ne vont pas pouvoir me débarquer tout de suite ». alors que les qualifications inférieures disent, « nous, de toute façon, on ne dépassera jamais telle qualification – c’est par lettre – puis je fais mon job. Voilà ». Et déjà, elles lâchent l’affaire. Je trouve cela hallucinant, alors qu’il y a des potentiels incroyables dans toutes les catégories. 

 

Concernant le rapport professionnel à l’argent, les hommes ont envie de savoir combien ils pèsent, et je pense que leur négociation salariale vient de cela. Alors que nous, effectivement, en tout cas dans nos générations, on voulait d’abord gagner notre vie, on voulait être reconnues professionnellement, monter les étages de la qualification ou de l’organigramme. Après il y avait un tel fait acquis que l’on gagnerait moins, je sais que parfois, j’ai lâché l’affaire parce que cela me saouler de passer autant de temps à négocier un truc avec quelqu’un qui ne voulait pas me le donner. Donc, je me disais déjà « OK, j’ai la posture, je suis à côté de machin sur la photo, donc ça suffit ». 

 

Après, il y a un truc qui m’a beaucoup inquiété l’année dernière, j’ai accepté de faire du mentorat pur des jeunes filles. Je me suis trouvée avec des filles qui avaient le niveau intellectuel, la posture, tout ce que l’on peut imaginer, qui se dégonflaient complètement au moment où dans des simulations d’entretien, elles n’avaient pas fait de benchmark, elles ne s’étaient pas posées la question de savoir combien dans 5 ou 10 ans elles allaient gagner. Elles n’avaient aucune vision d’un organigramme, je pèse combien, je vaux combien, etc. Alors que les garçons, y compris ceux qui étaient moins bien notés, eux, ils étaient au courant de tout, dans 5 ans je serai là, dans 10 ans, je serai là, je vaudrai tant, je vaux tant, je pèse tant. Je me suis dit, mince alors ! 2022, cela a été la grosse claque, quand même.     

Je trouve cela inutile de féminiser ou de masculiniser le leadership et surtout pas d’en faire une expression leadership au masculin ou leadership au féminin. Car, dans le leadership au féminin, il y a des fantômes immédiatement qui arrivent qui mettent de la bienveillance, il faut être gentil avec les gens. Non, stop. Le leadership d’abord. A force de faire des bisounours avec les équipes, in fine, avec le leadership « féminin », ils ont l’impression d’être un petit peu à la cour de l’école et de réclamer des trucs, alors qu’avec un mec on ne demande rien. Et on récupère aussi un peu les bras cassés des équipes. 

Tout cela pour dire, oui, leadership OK, mais pour moi, le leadership c’est de faire avancer l’équipe, c’est de former, c’est de voir là où les gens ne sont pas formés, c’est de dire « toi, tu vas te former, tu ne parles pas l’anglais, tu pars aux États-Unis », et l’objectif c’est cela, et l’objectif de l’équipe, c’est cela. Et on y arrive ensemble, et on va y arriver. Ce n’est rien d’autre. Après, féminin, masculin, je n’ai pas envie de cela.